Cinquième voyage Jour 9 : Devenir mémoire

Date : 17 mai 2025
Lieu : Dawson City, Canada

J'ai passé la journée à arpenter les ruelles de Dawson City. Il y règne un calme étrange, presque théâtral. Les bâtiments s'inclinent face au vent froid et les uns contre les autres, comme s'ils parlaient doucement de la nécessité de tenir bon. Les façades en bois sont peintes de gris doux et d'ocres feutrés. Elles sont craquelées et ondulent comme du vieux papier. Les enseignes de commerces disparus depuis longtemps sont accrochées de travers, voire inexistantes. On a l'impression que le temps s'est ralenti, mais il ne s'est pas arrêté.

J'ai laissé la texture du lieu guider mon esquisse. Mon crayon se déplaçait tout seul, dessinant des cadres de fenêtres déformés, des têtes de clous rouillées et le rythme irrégulier des planches de la promenade qui pliaient sous les pas des années. Les formes n'étaient jamais droites. J'aimais ça. C'était humain.

Les rues étaient désertes, comme peuvent l'être les villes du Nord. Elles n'étaient pas complètement désertes, mais il n'y avait pas grand monde non plus. Un corbeau était perché sur un lampadaire cassé, ses plumes sombres se confondant avec le ciel pâle et les montagnes lointaines. Je suis resté un long moment à l'intersection de deux chemins de terre, respirant simplement le froid. Je n'entendais que mes pas et le léger bruit du bois qui bougeait légèrement, tandis que la température montait un peu dans la faible lumière de l'après-midi.

J'ai beaucoup réfléchi à l'aspect à la fois provocateur et résigné de ces bâtiments. Ils résistent à la neige, au vent, à la pluie et au temps, mais acceptent aussi l'idée qu'ils finiront par s'effondrer. C'est ce qui m'a donné envie de les dessiner. Ce ne sont pas de simples reliques, mais des êtres vivants qui se préparent tranquillement à devenir des souvenirs.

Ce soir, je dormirai avec l'odeur du vieux bois et de l'air froid sur mon manteau. Il y a quelque chose de réconfortant là-dedans.